Bachar Al Assad conforté par les divisions – L’Opinion, 27 mai 2013

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Publié le lundi 27 mai à 09h39
Mis à jour le mercredi 29 mai à 09h45
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« Dans le conflit syrien, la France, comme l’Europe, a montré 
à la fois son impuissance, ses hésitations, en un mot son inexistence »

AS L'opinion

La bataille de Qousseir, cette ville syrienne au sud d’Alep, constitue un véritable tournant dans la guerre civile qui ravage la Syrie depuis plus de deux ans. Cette petite ville tombée aux mains des insurgés contrôle à la fois la route Damas-Homs et celle qui mène à Alep, mais est surtout indispensable pour l’approvisionnement en armes en provenance du Liban, que ce soit à destination des opposants à Bachar Al Assad ou à celle des loyalistes.

Les dernières nouvelles du terrain laisseraient croire à une reprise en main par l’armée de Bachar el-Assad de cette bataille, avec depuis plus d’une semaine l’implication directe du Hezbollah libanais, dont les combattants participent activement, en première ligne, aux affrontements armés. La guerre en Syrie revêt certes une lecture nationale, mais également confessionnelle, régionale et enfin internationale.
Sur le plan national, la contestation du régime par des militants des Droits de l’Homme ainsi que par une jeunesse qui n’a connu que la dynastie Assad en mars 2011 a été très vite confisquée par les islamistes et les salafistes de Jabhat al-Nosrah (le Front de la victoire) ainsi que par les militaires dissidents de l’Armée libre de Syrie. Pour les premiers, le caractère confessionnel s’est très vite imposé : sunnites dans la mouvance des Frères musulmans au départ, rejoints par leurs rivaux salafistes, ils contestaient la captation du pouvoir par les Alaouites, branche du chiisme à laquelle appartient la famille Assad. En revanche, on retrouve dans l’Armée libre de Syrie, et ce malgré une imposante majorité sunnite, plus de diversification confessionnelle.
L’opposition s’est élargie par une représentation à l’étranger à travers le Conseil national syrien qui, malheureusement, n’a jamais pu présenter un front commun. Se promenant entre Paris, Doha au Qatar et Istanbul, cette opposition noyautée par les Frères musulmans n’a pas réussi à s’unifier et à présenter un volet sérieux de l’alternative face au régime Assad.
Le caractère confessionnel a impliqué de plus en plus l’Arabie saoudite et le Qatar, à la fois sur les plans financier et militaire soutenant cette opposition sunnite face à l’appui incontesté de l’Iran, allié de la Syrie depuis 1980, lors de la guerre Irak-Iran où Damas fut la seule capitale arabe à se ranger du côté perse. En 2003, l’invasion américaine et la chute de Saddam ont amené naturellement les chiites au pouvoir à Bagdad, faisant du même coup sauter le verrou irakien et faisant de l’Iran à travers la route Téhéran-Bagdad-Damas et Tyr, place forte du Hezbollah chiite libanais, une puissance méditerranéenne. L’Iran ne peut renoncer sans se battre à une telle position stratégique inouïe pour les Perses. De plus, en dépit de leur situation minoritaire face à la majorité sunnite dans la région, les chiites disposant d’un « Vatican » en Iran relevaient la tête en Afghanistan, au Pakistan, en Inde mais aussi en Arabie saoudite, au Koweït, à Bahreïn, aux Émirats et au Liban. Aux yeux des sunnites, les chiites et l’Iran devenaient un danger à abattre. À cela, il faut ajouter également la rivalité certes déséquilibrée entre l’Arabie saoudite qui abrite les deux lieux saints de l’islam, La Mecque et Médine, et le Qatar qui, à travers une diplomatie du chéquier, ambitionne malgré ses 200 000 nationaux seulement, de jouer dans la cour des grands grâce à son immense richesse gazière.
Pas d’option militaire. Soutenu par l’Iran, le régime Assad l’est aussi par la Russie qui, à l’occasion de cette guerre civile, retrouve des couleurs de grande puissance. Outre sa base maritime militaire à Tartous, façade de la Syrie sur la Méditerranée orientale, la Russie utilise à fond une diplomatie parallèle, celle de l’orthodoxie. Ce qui permet à Vladimir Poutine de proclamer à plusieurs reprises qu’il se sent désormais investi d’une mission : celle de défendre les chrétiens en Orient. Rôle autrefois dévolu à la France.
Mais dans ce conflit, la France comme l’Europe a montré à la fois son impuissance, ses hésitations, en un mot son inexistence, surtout après l’implication des Etats-Unis au niveau diplomatique, les Américains ayant écarté d’une manière nette et claire l’option militaire et se consacrant à la tenue d’une conférence internationale parrainée par eux-mêmes et les Russes en juin prochain qui, de l’avis des observateurs, n’accouchera que d’une souris.
En effet, faudra-t-il inviter l’Iran ou pas ? Cette question risque d’être une des pierres d’achoppement de cette conférence appelée à définir un plan de sortie de crise en Syrie. Entre-temps, et nonobstant l’appui apparent des Occidentaux à l’opposition au régime Assad, ce dernier se sent conforté, à la fois par les divisions et les luttes intestines qui rendent inopérants ses opposants et par divers succès militaires au cours de ces deux derniers mois, ainsi que par le soutien indéfectible de la Russie et de l’Iran et celui, plus discret sans doute, du gouvernement irakien. C’est avec le feu vert de Téhéran que les combattants du Hezbollah sont venus s’installer en première ligne à Homs dans la bataille de Qousseir.
Il ne faut pas non plus écarter la puissance de nuisance intacte du régime syrien : on l’a vu au Liban avec les deux métastases, à Tripoli où populations alaouite et sunnite s’affrontent régulièrement, et à Saïda où l’activisme des salafistes aboutit à un rejet auprès de la population.
A moins d’un coup d’Etat militaire de l’intérieur même du régime, ce dernier a encore de beaux jours (de beaux mois) devant lui.

À propos Antoine Sfeir
Journaliste, politologue, enseignant, directeur des Cahiers de l'Orient.

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